Le Chien, le Chat et le Joyau
Jadis, quelque part, il y avait un bon vieux. Un jour, revenant de la ville, il voit en chemin des enfants assemblés, tourmentant un chiot. Ils avaient passé une ficelle au cou du chiot, le lâchaient dans la rivière, le remontaient, et ainsi de suite. Le vieux, pris de pitié pour le mignon chiot, tire de son porte-monnaie quelques pièces, achète le chiot aux garnements, garde le chiot contre son giron, retourne à la maison.
- « Allons, mange ce riz et ce poisson ! » dit-il. Il élève avec soin le chiot, s'en fait aimer. Le chiot devient l'ami du chat tricolore de la maison.
Un jour le vieux casse une caisse, en sort un petit serpent blanc. Le vieux place dans sa paume quelques grains de riz et les lui donne à manger. Le petit serpent aussi se prend d'affection pour le vieux. Celui-ci, pour éviter que le serpent ne soit vu par quelqu'un, l'enferme dans un coffret. Mais le serpent devient trop grand. Le vieux le place dans un coffre, mais bien vite, le serpent devient encore trop grand. Alors, le vieux dit, ayant bien réfléchi :
- « Sire serpent, si ta tête entre, tes pieds n'entrent pas : si tes pieds entrent, ta tête n'entre pas : cette pauvre maison est trop petite. Je ne peux plus te nourrir suffisamment. Tu es devenu assez grand pour marcher tout seul. Va te loger là où tu ne risques pas de te faire enlever par un faucon. »
Le serpent blanc, ayant oui: ces paroles, descend des genoux du vieux, va dans le jardin. Alors il se faufile dans un trou à la base d'un pin à cinq feuilles. Le vieux re¬garde :
- « Ici, n'est-ce-pas le vieux nid du serpent ? » et il voit là-dedans briller quelque chose.
- « Ah ! Qu'est-ce que c'est ? ».
Il allonge la main, prend la chose, c'est un merveilleux joyau : C'est un souvenir du serpent. Il emporte le joyau, le range alors, chaque jour, des grains d'or se forment là, et le vieux devient très riche.
Avec ce capital, il ouvre une boutique de tailleur, qui devient très prospère. Un jour, un jeune homme arrive de Kamigata et se propose comme gérant. Le vieux accepte ; séduit par l'intelligence du garçon, il l'engage aussitôt. Il y a un dicton qui dit : "La cupidité humaine est sans bornes". Le jeune gérant voulait s'approprier les écailles d'or du vieux. Celui-ci lui avait confié la clé du tiroir ; le gérant dérobe le trésor et disparaît.
Son trésor perdu, le vieux redevient pauvre, très pauvre. Un jour, tout en caressant le chien et le chat, il leur dit :
- « Chers amis, voici des années que vous êtes employés dans cette maison. A cause de mon imprudence, je n'ai plus le moindre petit poisson de rizière, ni le moindre légume sec à manger. Quittez la maison, allez vivre ailleurs ! »
Le chien et le chat comprennent bien, quittent la maison, tristement. Le chien cherche la trace du gérant, va à Kamigata, trouve la boutique du gérant, prospère, superbe, roulant sur l'or. Les deux bêtes délibèrent. D'abord, le chat entre dans la cuisine de la boutique, vole un grand poisson et s'enfuit. Le chien, criant
- « Oh le sale chat ! » court à sa poursuite et rapporte le poisson. La boutiquière dit :
- « Ah ! le bon chien, utile ! Prenons-le ! » et, toute joyeuse, l'adopte. Le chat se fait calin, promet de tuer tous les rats et toutes les souris du magasin. La boutiquière l'adopte aussi.
Les souris s'inquiètent :
- « Hier, grand frère rat s'est fait prendre. Aujourd'hui, à qui le tour ? »
Elles s'assemblent, délibèrent, envoient pour finir un ambassadeur au chat, avec cette requête :
- « Nous vous prions de bien vouloir ne pas éteindre notre race. Nous ferons tout ce que vous voudrez pour que vous ne nous attrapiez plus. »
Le chat dans son cœur rit secrètement, n'en montre rien :
- « D'accord, mais en échange, rongez la serrure du petit tiroir qui se trouve dans l'arrière-boutique, et apportez-moi le joyau qui s'y trouve. Si vous faites cela, je vous épargnerai. »
L'ambassadeur rapporte cette réponse à l'assemblée des souris. Et toutes de ronger, le tiroir, d'en extraire le joyau, de le livrer au chat.
Le chien et le chat, aussitôt, quittent la boutique, se dirigent vers la maison de leur premier maître. Au cours du voyage, les voilà arrêtés par une rivière. Le chien propose au chat de monter sur son dos. Le chat, gardant le joyau dans son museau, s'agrippe au chien et traverse ainsi la rivière. Sur l'autre rive, un renard arrive en flânant, et dit d'une voix engageante :
- « Sires chien et chat, qu'est-ce que ce joyau que vous tenez ? Jouons à la balle avec ! »
Les trois bêtes jouent à la balle avec le joyau un moment. Sur le point de l'attraper, le renard le laisse choir dans la rivière. Rien à faire pour le retrouver. Le chien et le chat traversent une vallée, vont à la ville, arrivent chez un poissonnier. Un poisson récemment pêché bondissait. Le chien et le chat le ravissent ! et s'enfuient vite, avec. Ils parviennent à la maison de leur maître. Celui-ci :
- « Ah ! Vous voilà ! Où étiez-vous partis ? Oh ! Le gros poisson que vous m'apportez ! Et il verse des larmes de joie. »
Aussitôt, au moment où il allait le découper avec le couteau de cuisine, c'est bizarre ! Du ventre du poisson, des joyaux s'é¬chappent en dégringolant.
Ah ! Voilà un bel exploit, vous autres !
Le vieux, heureux, le chien et le chat heureux, toute la maisonnée vit dans l'abondance comme par le passé.